Complots et Cabales




"Le Calligraphe de Voltaire" Pablo de Santis. Roman. Editions Métailié, 2004



Traduit de l'espagnol (Argentine) par René Solis.








Quelque part, dans un port d' Amérique du Sud, un vieil homme se souvient de ses jeunes années. Cet homme s'appelle Dalessius et est né en France au XVIIIe siècle. Très tôt, il devient orphelin suite à la disparition de ses parents lors d'un naufrage.
Recueilli par son oncle, un vieux maréchal au caractère atrabilaire, le jeune homme va montrer une attirance et un certain talent à former sur le papier des alphabets aux formes étranges et originales. Ne sachant quel avenir réserver réserver à son pupille, le maréchal va diriger celui-ci vers une école de calligraphie.
En ce XVIIIe siècle finissant, l'art de la calligraphie n'est plus guère utilisé, les techniques d'imprimerie ayant supplanté depuis longtemps déjà cet exercice considéré comme démodé, lent et fastidieux. Peu de carrières s'ouvrent alors aux élèves fraîchement sortis de cette école : greffiers dans les tribunaux, bibliothécaires ou secrétaires privés au service de quelques grands personnages.
Sur recommandation de son oncle, Dalessius trouvera un emploi en qualité de greffier, emploi peu gratifiant qui lui permettra cependant de mettre en pratique ses talents :
« Muni de ma boîte, je commençai à voyager d'un tribunal et d'un bureau à l'autre. C'était une époque qui appréciait le fragile et l'inutile : je ne connaîtrai plus rien de semblable. À un condamné à mort dont on m'avait chargé de rédiger la sentence, on montra le manuscrit avant de monter sur l'échafaud ; il était plein d'arabesques et de cachets de cire, et il déclara : dites au calligraphe que je lui sais gré d'avoir transformé mes crimes en une chose aussi belle ; je tuerais volontiers dix hommes de plus à seule fin de contempler à nouveau une œuvre semblable. De ma vie je n'ai reçu si bel éloge.
Dans ma chambre, les flacons se mélangeaient : encre de seiche, venin de scorpion, feuilles de chêne et têtes de lézards. J'avais également fait l'essai d'encres invisibles, à partir d'indications fournies par un exemplaire de De occulta calligraphia que m'avait vendu un libraire de la rue Admont et qui était interdit dans l'école de Vidors. Le livre promettait des encres aussi dénuées de couleur que l'eau, rendues visibles au contact du sang ou frottées avec de la neige, ou encore exposées de longues heures à la lueur d'une lune dans un ciel sans nuages. D'autres parcouraient un chemin contraire et passaient du noir au gris puis au néant. »

C'est d'ailleurs l'utilisation par erreur d'une de ces encres sympathiques – qui va faire disparaître la sentence d' un acte d'accusation – qui vaudra à Dalessius de se retrouver en prison.
Une fois sorti de captivité, le jeune homme, fraîchement accueilli par son oncle, va apprendre de la bouche de celui-ci qu'un nouvel emploi lui a été trouvé :

« - J'ai offert tes services pendant que tu étais en prison. J'ai envoyé à de vieilles connaissances une feuille où j'ai noté la courte liste de tes vertus et une autre avec la longue liste de tes erreurs, pour ne point passer pour un menteur.
- Avez-vous reçu une réponse ?
- Une seule, du château de Ferney. On y confond et y lit tout à l'envers ; ils ont pris tes vices pour des vertus et t'ont pour cela aussitôt accepté. »

Ferney. C'est là que vit Voltaire, loin de la Cour et suffisamment près de Genève pour fuir le Royaume en cas de menace. Dalessius va donc rencontrer le philosophe qui va lui confier la tâche délicate d'ouvrir les courriers qui lui parviennent, et, le cas échéant, d'y répondre à la place du vieil homme accaparé par de nombreuses activités :

« Voltaire ayant beaucoup d'ennemis, ouvrir le courrier était fort dangereux. On lui envoyait des aiguilles empoisonnées dissimulées entre les pages, des lettres avec des ampoules exhalant des vapeurs vénéneuses, des araignées tueuses.
Et dans les paquets qu'il recevait, on trouvait souvent de faux livres contenant des serpents en hibernation ou de délicats mécanismes explosifs. Dans un salon spécial, loin de toute autre présence afin qu'il n'y eût pas d'autres victimes, j'examinais enveloppes et paquets en retenant mon souffle. Je m'aidais d'une série d'instruments que Voltaire avait achetés à Genève, destinés à détecter pièges et explosifs : des loupes en cristal de roche, une fine longue-vue que l'on glissait dans les emballages sans qu'il fût besoin de les ouvrir, une lampe à lumière bleue qui permettait de voir au travers du papier.
Ouvrir les lettres n'était point ma seule tâche, je devais aussi y répondre, au nom de Voltaire.
- Cherchez dans mes livres et rajoutez quelque vieux mot d'esprit à votre prose de séminariste, m'ordonnait-il. »

Mais très rapidement le jeune homme va se lasser de ces occupations et Voltaire va lui confier une autre mission : se rendre à Toulouse afin d'enquêter sur les tenants et les aboutissants d'un procès qui secoue le Languedoc : l'affaire Calas.
Commence alors pour Dalessius une succession d'aventures au cours desquelles il va rencontrer d'étranges personnages dont un ancien bourreau et une fascinante jeune femme dont on ne sait si elle est vivante ou la création d'un fabricant d'automates.
Dalessius voyagera au milieu de cercueils, sera poursuivi par des dominicains, se rendra à Paris, écrira des messages secrets à même la peau de femmes nues, explorera un cimetière afin d'y découvrir un secret jalousement gardé et devra déjouer un complot destiné à étouffer dans l'œuf la toute nouvelle influence des encyclopédistes.
Il devra, pour finir, affronter un adversaire des plus inquiétants, l'étrange et redoutable Silas Darel, maître de calligraphie et assassin impitoyable.
Reprenant tous les accessoires du roman fantastique : cimetières et autres endroits sinistres, créatures et machines étranges, personnages inquiétants et complots machiavéliques, Pablo de Santis signe un roman où l'écriture devient l'enjeu et l'instrument d'une lutte idéologique entre deux conceptions du monde radicalement opposées et dont le but est l'accès de tous au savoir ou au contraire la préservation de celui-ci au bénéfice de quelques uns.
Dans la même lignée qu' « Un jardin de papier » de Thomas Wharton, Pablo de Santis nous offre ici un roman où se mêlent les influences du roman gothique et les extravagances littéraires propres à Jorge Luis Borges.



Commentaires

Karl Chaboum a dit…
Machiavélique ? Machiavélisme ? Machiavélissime ? Votre jet de plume nous fait résumer plus de cent ans en arrière et est plus d'actualité que toutes les langues de vipère de la majorité de ceux qui nous dirigent et dont la bouche sort du venin, des bombes à retardement.

Voltaire aurait fait mon grand'père mais je n'aurais pas voulu qu'il me prenne dans ses bras de peur que son sang ne coule dans mes veines... Ce qui me donne envie d'être calligraphie, mouches invisibles en moins.

Ma "fenêtre sur le monde " que j'ai ouverte voilà peu lance des flèches qui traversent l'océan; je vous y invite cordialement:
http://karlchaboum.blogspot.com/

Karl Chaboum
Anonyme a dit…
Excellent papier sur un livre qui me paraît éminement intéressant. Encore une fois merci d'avoir défriché cette piste.
Un dernier mot: j'aime bien vos petits points picto pour nous donner votre note perso.
Marie.

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